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Le sens de l'humour dans les proverbes malgaches par Georges Sully Chapuis et Razanajohary

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Un Européen, désireux de s'initier à la vie des Malgaches et, par suite, d'acquérir leur langue, ne manquera pas de remarquer la fréquence de l'emploi des proverbes dans les discours et même la conversation courante. Quoique les jeunes perdent, par suite des circonstances de leur instruction, l'habitude de l'utiliser, le proverbe reste l'un des arguments les plus persuasifs dans toute discussion. A quoi cela tient-il ?

 

Sans doute au fait que, jusqu'à une date relativement récente, la langue malgache a été uniquement parlée et n'avait pas à proprement dire de littérature. Le besoin d'exprimer des pensées aussi clairement qu’il se peut, afin de transmettre, est pourtant inné en toute homme. La langue n’était pas écrite, il fallait, pour conserver des idées, rechercher par-dessus tout la concision. Aussi peut-on définir le proverbe une vérité de grand bon sens, formulée en peu de mots. La brièveté de ces adages a facilité leur transmission à travers les âges. La tradition orale ne les a pas modifiés et ils ont échappé à l’oubli grâce à l’emploi de mots justes et surtout évocateurs.

Les proverbes n’ont pas eu besoin de passer « vingt fois sur le métier » pour arriver) cette formule parfaite qui les grave dans la mémoire : le génie populaire qui les a produits les a aussi dotés d’une forme impérissable. Tel d’entre eux constitue un petit drame, par exemple le suivant, emprunté au recueil de Cousins et Parrett que M. Modain a traduit en y joignant des notes explicatives du plus haut intérêt :

« Les membres d’une famille sont comme les taureaux de combat : il ne faut ni applaudir les vainqueurs ni huer les vaincus. »

(Adin’ombalahy ny mpianakavy : ny mahery tsy hobiana, ny resy tsy akoraina).

 

Un autre se présente comme un ravissant petit tableau :

« N’imitez pas en amour le torrent produit par l’averse diluvienne ; il grossit vite, mais est bientôt sec. Imitez plutôt la petite source dans le sable ; on ne se doutait pas de son existence, et pourtant on y a puisé. » (trad. M. Mondain)

Bien peu de proverbes français revêtant une telle ampleur. Ce n’est là rien qu’un poème en miniature se rapprochant des hainteny, ces madrigaux familiers à la langue malgache ; cela fait déjà penser à de petites fables.

L’intérêt du proverbe consiste, presque dans tous les cas, dans un rapprochement ingénieux entre des situations ou des états d’ordre matériel et une application morale à la vie humains. Cela apparaît très nettement dans le suivant :

« Des fleurs cachées dans l’herbe sont autant plus parfumées qu’on les piétine davantage (voninkazo anaty ahitra, hosena vao mamerovero).

Entendez que la réputation d’un homme ne sera nullement ternie par les calomnies qui s’exerceront contre lui, bien au contraire.

L’auteur anonyme, et peut-être même collectif, se propose presque toujours de recréer, de persuader en amusant. Mais son but est de moralisateur. On a dit autrefois de la comédie qu’elle châtiait les mœurs par le ridicule. Cette définition est également applicable au proverbe qui consiste tout à la fois une réaction vigoureuse contre les tristesses de la vie humaine et une mise en garde, un effort en vue d’orienter l’homme selon les normes de l’humanité et du bon sens.

Les proverbes malgaches sont tout particulièrement dignes d’intérêt parce qu’ils nous permettent d’entrer fort avant dans ce domaine spirituel que constitue la mentalité d’une race. On reconnaîtra bien vite qu’ils renferment toute une philosophie de la vie, car la race s’exprime dans leurs sentences et celles-ci sont l’image fidèle de la population dont elles sont issues.

Si, comme nous le disions ci-dessus, les proverbes sont, d’un certain côté, une réaction contre les tristesses de la vie humaine, on ne sera pas surpris de voir qu’ils présentent fréquemment les aspects comiques des situations et des caractères. L’humour apparaît, plus ou moins voilé, dans une multitude d’entre eux. Le suivant, d’un usage très courant, ne porte-t-il pas la marque d’une incontestable drôlerie ? Il s’agit d’un accusé « si pressé de se faire rendre justice qu’il parle avant d’être interrogé ». (Kibokiboin’ny rariny, ka milaza tsy anontaniana).

Le suivant, peut-être moins connu, il est vrai, présente un comique tout aussi irrésistible :

«  Le mariage est comme un partage de viande : l’un attrape le moerceau de la bosse, l’autre un morceau du genou ». (Tahaka ny tono-kena ny fanambadiana : ka ao ny sendra ny trafony, ary ao ny sendra ny lohaliny).

pour signifier, comme l’explique M. Mondain, qu’on peut au hazard bien ou mal tomber.

Au moment d’envisager les proverbes au point de vue d’humour qu’ils présentent, rappelons ce qu’il faut entendre par ce terme d’origine britannique : l’humour. On l’a définit : un contraste entre le sérieux apparent de la personne qui parle et la drôlerie de la remarque qu’elle exprime.

La plaisanterie suivante, un peu leste en vérité, tirée du Mariage de Figaro de Beaumarchais, en offre un exemple excellent et qui nous permettre de pousser plus avant l’analyse. Comme Bridoison, parlant de la jeune Franchette, trop libre avec certains jeunes gens, citait le proverbe : « Tant va la cruche à l’eau qu’à la fin elle casse », Figaro fit remarquer d’un air imperturbable : « mais non, tant va la cruche à l’eau qu’à la fin elle s’emplit. »

On ne peut nier la justesse, l’à-propos et, en un mot, la drôlerie de cette repartie.

Or ce contraste, cette finesse, ce comique, on les retrouve presque à chaque instant dans l’étude des proverbes. Le suivant, applicable aux paresseux, n’est-il pas toua à la fois ingénieux et ironique ?

«  S’il s’agit d’exécuter un travail, ne dites pas : ma bêche est émoussée, alors que quand on va se mettre à table vous déclarez que votre cuillère est toute prête. » (Raha hanao zavatra, aza mano hoe : dombo ny angady, nefa raha mihinana manao hoe : maranitra ny sotro).

Ou encore, et dans le même ordre d’inspiration :

«  Lorsqu’on va se mettre à table, on désire peu nombreux ; mais quand il s’agit d’exécuter un travail, on parle d’appeler beaucoup de gens ».

Ces deux spécimens ne constituent-ils pas deux tableaux exquis de nonchalance et gourmandise ?

Si l’on envisage les proverbes au point de vue de l’humour, on est frappé par la variété des formes qui s’y rencontrent.

Dans certains cas, on se trouve en présence d’une drôlerie qu’on pourrait qualifier de neutre, car le sentiment qui l’inspire n’est ni charitable ni méchant. C’est le cas de la représentation des sots :

« un bêta qui n’a qu’une pièce d’un franc et qui s’imagine que tout ce qu’il voit vaut un franc. » (Adaladala manam-benty : izay hita rehetra venty avokoa).

Ou encore « le nigaud qui, après avoir attrapé un oiseau, lui arrache les plumes de la queue, mai lui laisse celles des ailes, de telle sorte que l’oiseau lui échappe. » (Adaladala nahazo vorona : ny volom-bodiny no nongotany, fa tsy nyelany, koa lasa izy).

Toutefois, dans la majorité des cas, le proverbe témoigne d’une inspiration parfois charitable ou bienveillante, mais beaucoup plus souvent dure et narquoise en apparence.

Nous envisagerons, en premier lieu, ceux qui sont nés de la compréhension et de la sympathie. Mais encore faut-il préciser. La compassion, dans ces sentences, s’applique à l’humanité en général et ne figure jamais sans une ironie par le suivant : « le chagrin ressemble à un silo à riz ; si l’on en retire une mesure tous les jours, il finira pas se vider ».

D’où la conclusion : sachons dominer notre chagrin et le réduire peu à peu. Il laissera seulement une réminiscence bien floue : « Où sont les neiges d’antan ? ». Le grand Shakespeare conclut de même avec un optimisme serein « qu’il vaut mieux avoir aimé du tout ». Beaucoup d’autres l’ont constaté en des termes également heureux. La sagesse malgache c’est donc celle de l’humanité en général.

Un autre proverbe déclare que : « Quand un coq appelle sa poule, ce n’est pas tant parce qu’il a trouvé quelque chose de substantiel que parce qu’il veut se montrer galant envers elle. » (Akoholahy manakohokoho vavy ; tsy hanin-kahavoky fa volan-kifanajana).

Ceci est dit pour souligne le charme de la galanterie mais n’y aura-t-il pas aussi là une autre satire voilée de la politesse, si souvent superficielle et peu sincère ?

Et n’y a-t-il pas de même comme une philosophie de la vie et une mise en garde dans l’adage suivant : « Si on cueille des fruits verts, en s’en dégoûte vite et si l’on se perche trop haut, on fait la culbute. » ? (Mioty manta ka leony, miringiringy ka potraka).

Dans ce proverbe d’une concision admirable, il ne s’agit pas seulement de fruits ou d’échelles, mais de toute curiosité dangereuse dont la déception est le moindre châtiment. N’est-elle pas inspirée par la bienveillance et la vigilance l’idée qui s’en dégage ?

Il nous reste maintenant à aborder l’examen de ceux, infiniment plus nombreux, il faut bien en convenir, qu’inspirent de tous autres sentiments.

La moquerie apparaît, plus ou moins voilée, dans des centaines de proverbes. Elle s’exerce contre une foule de gens qui ne devraient pas, semble-t-il, être ainsi bafoués, s’il est vrai qu’il en est qui la justifient. Et cela nous amènera à examiner dans le dernière partie de notre exposé les raisons qu’ont peut invoquer pour excuser les Malgaches de cette apparente dureté de cœur.

Que plusieurs proverbes bafouent les polygames, il n’y a pas là de quoi nous surprendre. Ils se verraient criblés des mêmes traits dans tous les climats : « les vieux qui prit une seconde femme, étant ainsi devenu trois (lui et ses deux épouses) perdit par là de sa valeur ». (Ingahibe nampirafy : tonga telo vao latsa-biey).

Ne témoigne-t-elle pas la plus indéniable rosserie la remarque, à l’adresse d’un nouveau marié, par exemple, contenue dans le proverbe suivant : «  Garde-toi de la négliger, car elle ne sera pas ta femme jusqu’à la fin ». (Aza tsy tia vady, fa tsy ny voalohany no vady fa ny farany).

Faisant par là allusion au fait qu’une nouvelle venue supplantera, tôt ou tard, la première élue.

Les esclaves ne sont pas traités avec plus de ménagement et l’on n’en finirait pas de citer les sentences où ils sont tournés en dérision. Qu’on en juge par les suivants : « un esclave qui a causé la mort de son maître par sorcellerie s’empiffrera de viande pendant un jour, mais devra subir pendant toute une année un deuil mortel. » (Andevolahy mamosavy tompo : voky hena indray alina fa hiongo-belona herintaona).

Entendez par là qu’il ne faut pas sacrifier un long avenir pour quelques heures de plaisir.

Ailleurs nous voyons l’esclave désireux du rapprochement. M. Mondain ne propose pas moins de trois explications ; nous retiendrons celle qui paraît préférable : en cherchant à se racheter, l’esclave montrait qu’il avait de l’argent ; son maître était tenté d’en profiter pour lui soutirer la grosse somme et retarder par là même sa libération.

Là où le comble du ridicule était atteint, c’était quand ce malheureux s’avisait, lui aussi, de prendre une seconde femme : voilà bien de quoi égayer la société. Le recueil Cousin-Parrett donne deux proverbes relatifs à l’esclavage doublé d’un polygame, nous les reproduisons l’un et l’autre.

« Un esclave bigame doit chaque jour en pilant du riz pour trois personnes au lieu de deux, se couvrir de son par trois fois. » (Andevolahy mampirafy, in-telo mihosina ampombo).

M. Mondain y voit une épigramme à l’adresse de ceux qui veulent vivre plus grandement que leur situation ne le permet.

Celui-ce a donc fait une mauvaise affaire. Par contre son camarade représenté dans les lignes suivantes, espère en avoir réalisé une bonne.

« Cet esclave devenu bigame n’a agi ni par caprice, ni par sensualité ; c’est qu’il esère se mieux rassasier ». Il se propose de faire travailler sa seconde femme et d’en tirer du profit.

Ces deux proverbes présentent une image de la vie, l’homme tantôt exploitant son semblable et tantôt étant exploité par lui. Et n’y a-t-il pas de l’humour) montrer dans la vie des polygames ?

Il est vrai que certains des esclaves ainsi évoqués ne font apparaître qu’une ironie exempte de toute méchanceté, tout comme il y avait chez eux, à côté des fripons, d’autres donnant plus de satisfaction. Les deux proverbes suivants, empruntés encore au recueil Cousins-Parratt, ne relèvent que de la pure drôlerie.

« Qu’est-ce qui a bien pu donner à cet esclave l’idée de se promener en portant une ombrelle, puisqu’il se prive ainsi d’un des rares biens dont il jouit au même que les autres hommes ? ». (Andevolahy mielo : manakona ny anjara masoandrony).

« Et cet autre, qui fait entendre le matin de mélodieuse complaintes, est-ce la tristesse qui l’inspire ? Non, c’est qu’il a l’estomac vide. » (Andevolahy mikalo maraina : tsy alahelo, fa kibo tsy voky)

Jusqu’ici la satire ou la drôlerie étaient justifiées. Mais il n’en est plus ainsi s’il s’agit d’épouses, de vieillards, de personnes atteintes d’infirmités ou de maux incurables.

Les femmes et certaines situations conjugales ont, il est vrai, alimenté partout la verve des moqueurs, le grand conteur que fut l’Anglais Chaucer déclare quelque part, en citant un auteur latin : mulier est hominis confusio qu’il traduisait avec humour exquis : « Elle fait toute la félicité de l’homme ». Les créateurs des proverbes malgaches ne se sont pas fait faute de puiser la gaieté à la même source. On en jugera d’après les deux suivants :

« Quand une femme laide veut se rendre à une fête publique, c’est de grand matin qu’elle doit se mettre en route », afin de n’être pas vue. (Ratsy tarehy handeha hilanona, ka maraina ihany no izy.

Il y a une véritable rosserie dans une pareille déclaration et sans doute plus encore dans la suivante :

« Si une laide vient à perdre quelqu’un des siens, elle a tout de même de la chance dans son malheur, puisque c’est quand ses cheveux sont défaits (en signe de deuil) qu’elle paraît jolie ». (Ratsy tarehy aminin-doza, ka mirakraka vao tsara).

« Peut-on vraiment prétendre que les femmes sont moins intelligentes que les hommes et qu’elles doivent se baisser quatre fois pour trouver une idée, alors que l’homme conçoit la sienne en faisant trois pas ? » (Ny lahy mamindra in-telo ka mahazo hevitra ; ny vavy miondrika in’efatra vao mahazo ny azy).

Ici, on est en droit de se demander si l’adage exprime une notion courante de soi-disant supériorité intellectuelle chez l’homme. Nous y voyons plutôt une boutade, un divertissement de l’esprit. Et c’est encore plus le cas du suivant :

« Celui qui épouse une femme grande n’a plus besoin d’emprunter une échelle ; celui qui épouse une femme courte a un tambour sous la main ; celui qui épouse une femme violente a la foudre chez lui ». (Mana- bady ny lava, ts mindran-tohatra intsony ; manam-bady fohy, mitahiry tapak’aponga ; manam-bady ny lozabe, mitahiry varatra an-trano).

Si tant est que l’homme se prétende supérieur à la femme, il est aussi de épouses qui aspirent à dominer leur mari. Deux proverbes tout au moins l’attestent, qui ne manquent pas de pittoresque :

« Comme c’est le cas pour les poux, c’est la femme qui a le plus de célébrité. » (toy ny rehi-hao, ny vavy indray no malaza).

Ou encore : « La poule qui chante à la façon d’un coq cause elle-même sa perte ». Et M. Mondain rappelle en note que les gardiens d’idoles ordonnaient de tuer et de jeter toute poule dont le cri imitait celui du coq.

Les ancêtres ne semblent pas avoir eu beaucoup plus d’égard pour l’âge que pour le sexe. Certains récits très populaires du folklore malgache nous présentent des vieillards honteusement exploités et bafoués. Il n’en va guère autrement pour les proverbes. Dans le seul recueil d’Houlder et Noyer on en relève treize, relatifs aux beaux-parents, dont une bonne moitié de franchement narquois. Nous en produisons deux seulement :

« Il faut aimer sa femme, mais chérir sa belle-mère ». (Ny vady no tiana ka ny rafozana no malala).

“Ne faites pas comme la belle-mère aveugle qui préfère le don d’un peu de sel à celui d’un beau lamba ». (Aza manao toy ny rafozana jamba, ka aleo ateran-tsira kely toy izay homen-damba tsara).

Le volume Cousins-Parrett ne contient pas moins d’une quarantaine de proverbes, presque tous moqueurs, sur les vieillards. On pourra en juger par les suivants pour lesquels ous reproduisons à peu près la traduction de M Mondain :

« Si u vieillard s’étouffe en mangeant un croupion de volaille, c’est quand on lui rend honneur qu’il tourne de l’œil ; c’est quand lui témoigne son affection qu’on doit lui frapper la nuque de coups de poing ». (Lahy antitra kendam-body akoho : mahazo fanjakana vao mivadi-boamaso ; tongan y valim-pitia vao voa totohondry an-katony).

Un autre présente un vieillard qui s’étrangle en mangeant des patates sans être victime d’un maléfice puisqu’il a de sa propre main enfoncé l’aliment dans son gosier. (Lahy antitra kendan’ovy : tsy atolak’olona, fa matin’ny nasesiky ny tànany).

Les vieilles ne sont pas traitées moins irrévérencieusement que les hommes. Voici une qui s’est dégoûtée d’arachides au point de fuir dès qu’elle voit des crotte de mouton : sans doute à cause de la ressemblance. Une autre, qui suçait de la canne à sucre parce qu’elle voulait se rafraîchir la gorge ou avoir quelque chose de doux dans la bouche, n’a réussi qu’à s’écorcher les gencives.

Tout aussi mordants sont les suivants où l’on présente des infirmes ou des personnes atteintes de maux divers :

« Un boiteux, atrophié d’un côté, marche à bonne allure à la descente, mais clopine sur les paliers ». (Mandringe kely ila manao rarangy am-pidinana, fa mikolepaka an-tany marina).

« Quelle drôle d’idée a cet aveugle de porter une lanterne qui ne peut servir qu’à d’autres ! ». (Jamba mitondra fanala ka manazava ny hanoro làlana).

Ne faites pas comme le sourd qui vend des marmites et fait résonner également les bonnes et les mauvaises ». (Aza manao vilanin’Ikarenina ; ny malady pohina, ny marenina pohina).

« Un bancal au milieu d’une revue, mais c’est une entrave sur le chemin des autres ». (Bingo manao matso, ka misalovana ny anajaran’ny sasany).

Mais, alors que les sourds, les aveugles, les lépreux sont littéralement criblés des flèches du sarcasme. Les deux recueils sus-mentionnés n’en contiennent sur eux guère moins d’une cinquantaine, tous plus frondeurs les uns que les autres. Les trois suivants suffiront à donner une idée du genre :

« Quand un lépreux vend du miel, sa marchandise est bien bonne, mais son corps peu ragoûtant ». (Boka mivaro-tantely : ny zavatra amidy mamy ihany, fa ny tenan’ny mpivarotra no mampahaloiloy).

« Un lépreux qui a traversé une rivière à la nage, meurt après avoir atteint l’autre bord », faute de doigts pour saisir les objets qui l’aideraient à en sortir. (Boka nilomano : tafita vao maty).

« Quand un lépreux mange de la viande boucanée : pour manger ça va bien ; mais c’est pour se curer les dents, ensuite, que ça ne va plus ». (Boka mihinan-kitoza : ny fihinanana no lavorary, fa ny manala kaka no ady mafy).


On pourrait multiplier les exemples, mais les précédents suffisent sans doute à justifier les conclusions ci-après :

Une race qui peut tirer de son fonds une telle variété et une telle richesse d’images symboliques et pittoresques doit être considérée comme intellectuellement bien douée et susceptible de prendre son essor dans les genres littéraires qu’elle abordera, une fois pravenue à un niveau de vie et à un degré de développement culturel suffisants.

On ne peut se refuser à reconnaître aux proverbes une réelle valeur humaine puisqu’ils sont inspirés par un grand effort en vue d’amener les individus à l’exercice du sens commun, en les mettant en garde par les aza contre une foule de travers de nature à les entraîner à des pensées ou des actions nuisibles tant à eux-mêmes qu’à la collectivité.

Le discernement est nécessaire, s’il s’agit de leur interprétation. Tous ne doivent pas être pris, comme on dit, au pied de la lettre. Ils sont pour la plupart assaisonnés du grain de sel dont parlaient les anciens. Si l’on tient compte qu’un bon nombre constituent des jeux de l’esprit, surtout préoccupés du désir de susciter l’hilarité, on rectifiera l’erreur qu’une interprétation trop littérale ferait commettre.

Maintenant une question se pose inévitablement. Comment se fait-il qu’on voie apparaître en tout cela tant d’apparente dureté envers des individus entièrement irresponsables ? Il n’est pas douteux que la réponse que nous trouverons à ce problème influera sur le jugement que nous porterons en dernière analyse sur les Malgaches. On pourra faire remarquer qu’il n’y a pas que les proverbes qui soient susceptibles de fournir d’intéressants renseignements. Mais, après avoir parcouru les contes ou les Hain-teny, on sera également forcé de conclure à l’existence, chez les Malgaches, d’une indéniable dureté de cœur.

On n’atteindra, nous semble-t-il, les causes profondes de ce regrettable travers, en admettant que cela n’aille pas jusqu’aux idées religieuses d’autrefois. Jusqu’à une date relativement récente, les Malgaches ont cru à l’existence d’esprits malfaisants rôdant dans l’air et contre lesquels ils se défendaient, expliquera à l’un de nous M. Ramaroetra, soit en les enfermant dans des objets matériels désignés sous le nom de sampy, par la seule puissance du verbe, soit en les neutralisant par des amulettes.

Mais ne serait-ce pas encore la puissance du verbe, souvent voilée et comme se jouant, probablement même à son insu, que nous retrouverons dans les proverbes ? La grande affaire dans la vie humaine était alors de se mettre à l’abri des influences néfastes. Par exemple l’homme conjurait un malheur en arrachant une certaine herbe et en la jetant par-dessus sa tête. Le symbole qu’il y avait dans ce geste, on le retrouverait aussi dans la parole. Lancer des imprécations contre les mauvais esprits eût été vain et puéril, sinon dangereux. Mais ne pourrait-on pas admettre que les ancêtres cherchèrent à lutter contre les forces invisibles mauvaises par des moyens détournés ? La meilleure façon de conjurer le mal consistait à flétrir ses manifestations ; et c’est en raillant leurs œuvres qu’on paralysait les mauvais esprits. Ainsi, narguer les lépreux, ce n’était pas mépriser leur personne, mais lancer des traits contre le mal dont ils souffraient ; faire allusion aux infirmes ne provenait pas du désir de les insulter, mais d’écarter le mauvais sort qui pesait sur eux. Si l’on parlait de la vieillesse avec une apparente irrévérence, ce n’était pas qu’on voulût l’outrager, mais afin de repousser la mort qui menace les personnes âgées.

Ainsi envisagés, les proverbes, y compris ceux qui nous paraissent le plus méchants, constituent un acte de défense sociale et manifestent un grand attachement aux formes normales de la vie, à une existence exempte de tous maux. A ce titre, ils fournissent une philosophie simple et saine, non sans analogie avec celle qui se dégage des fables de La Fontaine. Et s’il est vrai, comme le prétendent certains lettrés malgaches, qu’un grand nombre de proverbes ne remontent pas au-delà de l’époque d’Andrianampoinimerina, le rapprochement entre leur utilité sociale et les efforts de ce grand souverain en vue de moraliser ses sujets est d’autant plus remarquable.

Fatalistes comme leurs frères, les Orientaux, les Malgaches semblent avoir cherché par ces jeux de l’esprit à secouer le joug du destin implacable. Et leur allure plaisante et légère devait en tout cas faciliter leur intégration dans un monde en évolution

Notre dernier mot sera pour déclarer, en toute franchise, que nous avançons à titre d’essai d’explication, et parce qu’aucune autre, jusqu’à présent, ne semble avoir été présentée.

 

*** in Bulletin de l'Académie Malgache, t. 29, 1949.1950

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